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The Sick Rose or : Disease and the art of medical illustration

The Sick Rose or : Disease and the art of medical illustration est publié en 2014 par l’éditeur anglais indépendant Thames & Hudson. Fondée en 1949, cette maison d’édition de « beaux livres » a préservé son leitmotiv initial : créer un « musée sans mur » à travers sa ligne éditoriale.

The Sick Rose est en quelque sorte ma bible graphique, notamment dans le rapport au corps (corps meurtri, difforme, malade, surréaliste…) qui découle de mes illustrations (@matteo.falone sur IG pour voir mon travail qui illustre ce propos).

L’objet fermé est déjà troublant : l’illustration, la couleur froide et clinique rappelant l’univers médical ou encore la tranche texturée renvoient à la nostalgie d’une époque révolue, mais la mise en page léchée et la finition de l’ouvrage ont toutes les caractéristiques d’une édition moderne. La première impression est un mélange de fascination pour l’objet éditorial, mêlé au trouble (au malaise ?) qu’évoque son contenu.

Le livre est un recueil d’archives médicales : illustrations d’époques de maladies diverses (lèpre, cancers, parasites, choléra, syphillis…), de publicistes (affiches de santé publique…), œuvres d’art d’époque liées à la maladie (peintures, gravures, toiles…), schémas et notes de médecins, photographies d’appareils chirurgicaux, etc. Cette imagerie est argumentée par un essai socio-historique rédigé par Richard Barnett, historien de la médecine. D’emblée, donc, cette édition se veut plurielle : malgré l’abondance d’illustrations (encre, crayon), de nombreux autres médiums plastiques sont convoqués. Cela donne la sensation de visiter une galerie (un musée sans mur !), multiplie les chocs esthétiques au fil de la lecture, approfondit l’immersion puisqu’on rattache ces images à un contexte plus général. Par rapport à mon travail, The Sick Rose est une mine d’inspiration graphique ; je ne lis pas forcément tous les articles rédigés par Richard Barnett. Mais, pour d’autres, ce livre pourrait tout à fait être lu comme un recueil de documentation scientifique, l’imagerie venant compléter la lecture. Cette portée éditoriale, plurielle également, s’élargit par cette double-intention : ravir les yeux et/ou informer. L’ironie présente sur les 2e et 3e de couverture apportent un second degré de lecture qui souligne ce propos.

Ce second degré, dans ma lecture personnelle de The Sick Rose, a accompagné ma quête théorique dans mon travail sur « ce » corps : créer une sorte de carnaval où l’exhibition de ce « malheur » corporel deviendrait ironique / mêler les ressentis divers qui m’animent en contemplant ces êtres tordus, émaciés, défigurés à outrage (du dégoût, de la honte, de l’angoisse, de la compassion, de la gêne, du rire) / se détourner du « pathos » exprimé par leur souffrance physique, et exacerber ces dysmorphies pour les rendre encore plus absurdes, encore plus grotesques / faire comme s’ils n’avaient jamais existé sous une autre forme que celle de la maladie / au-delà de la maladie (en prenant la maladie comme métaphore donc), trouver d’autres causes à cette dégénérescence physique (morales ? sociétales ? patrimoniales ?) / si le corps tuméfié est « le difforme », examiner la tumeur même comme une représentation de « l’informe » /// Il y a, selon moi, une ambiguïté fascinante, entre la « naïveté » de ces vieilles illustrations (tant dans le trait et la couleur pastel que dans l’approche scientifique qui nous semble, aujourd’hui, datée), et la violence de celles-ci. On dirait qu’au-delà de la monstration scientifique, froide et clinique, ces dessinateurs étaient « hantés » par des images morbides. Des êtres qui ne sont plus des hommes malades mais des figures monstrueuses. Il y a quelque chose, en tout cas, qui dépasse le registre scientifique, et qui entre dans le surréel, la fascination, voire la science-fiction. Comme l’écrit Richard Barnett, à travers ce témoignage socio-historique que représentent ces archives (et toutes les archives, de quelque nature qu’elles soient – publicitaires, littéraires, philosophiques, etc. – ont leur part de témoignage), on ressent les craintes et les obsessions de cette époque envahie par les épidémies. A ce jour, je me plais à comparer cet « esprit » à la crise socio-politico- sanitaire –et morale - actuelle…

Par Matteo Falone
Travail réalisé dans le cadre du cours d’actualité de l’édition et du multiple à l’Académie royale des Beaux-Arts de Bruxelles, 2020, license CC-BY-SA.