design research

plateforme de recherches en design graphique, éditorial, multiple…

Des mois, des années, Philippe Richard

Des mois, des années, Philippe Richard

C’est dans la petite bibliothèque de ma propriétaire, dans la cage d’escalier bruxelloise, que j'espérais tomber sur une édition qui me plaise ou m’intéresse assez pour en parler. Chez moi, je n’ai que des éditions classiques, le reste est en France. Je feuilletais alors , dans le froid des escaliers : des cartes, des guides, des documents personnels, des éditions d’art sans grand intérêt… Je suis tombée sur une boîte, ou un coffret. Une boîte noire. On peut y lire sur le couvercle: Philippe Richard, des mois, des années, le Crédac.

Je ne connaissais pas cet artiste, ni ce projet. En découvrant et en lisant les documents à l’intérieur, voilà ce que je peux en dire. Philippe Richard est appelé à faire une résidence en Islande, pour un séjour de 7 mois pendant l’hiver 1994/1995. Son projet est en deux parties. En Islande où le bois est rare, pendant des siècles, les paysans avaient l’habitude de marquer les bois flottés pour signifier aux autres leur appartenance. L’artiste décide de récupérer les bois flottés qu’il trouve. D’en faire collection (77) puis de les peindre à son tour. Il produit aussi 180 petites peintures, qu’il décidera par la suite de mettre en bouteille et de les jeter au large des côtes islandaises. Cette idée un peu enfantine, un peu romantique,est aussi pour lui une façon de rendre quelque chose à la mer (l’écologie ne posait pas question à l’époque), mais aussi une façon de questionner son travail : peindre du mieux possible ses petites feuilles tout en sachant que la plupart seront détruites par les océans (il les a tout de même exposées deux mois avant leur largage en mer, ce que je trouve incohérent).

En 2011, on retrouvait 45 bouteilles. L’artiste a aussi fait appel à des océanographes pour étudier les courants et voir là où ses bouteilles pourraient s’échouer. A défaut d’avoir trouvé une bouteille sur le rivage, j’ai trouvé cette boîte.

A l’intérieur se trouve une toute petite édition, où l’artiste résume et raconte sa résidence en Islande. Le texte bleu est court, et très bien écrit. On croirait presque un thriller. Il parle de son quotidien là-bas, et nous fait aussi part de ses réflexions. A la moitié de l’édition : le même texte traduit en anglais.

Un dépliant où nous pouvons voir les fameuses petites peintures. Toute une surface colorée donc. Au recto, un texte d’une certaine Alberte qui explique le projet Des mois, des années, d’une façon assez poétique.

Une carte postale : une vue de son atelier en Islande.

Une carte noire, sur un papier brillant. J’ai beaucoup de mal à la déplier: je pense que personne n'a dû le faire avant moi. D’ailleurs tous ses documents ont l'air de ne jamais avoir été touchés. C’est une carte océanique, qui montre les courants. Je ne sais pas d’où elle vient, si c’est lui qui l’a dessiné? Un flyer où sont écrits les remerciements, les partenaires, les lieux et institutions qui l’ont soutenu ou exposé. Tout ce projet de multiple a été édité par Le Crédac. A la fin de la feuille, je vois qu’il a été édité en 400 exemplaires, dont 180 sont destinés aux personnes qui auraient trouvé une bouteille. Je me demande si ma propriétaire a trouvé une bouteille sur le rivage belge. Je remarque aussi “exemplaire n°…” il n’y a pas de numéro.

Et finalement, au fond, de la boite se trouve une pochette en papier cristal : des feuillets, qui ont l’air d’avoir été détachés d’une édition. 6 doubles pages de papier crème : Le projet , Le voyage, Le temps, La perte, Imaginaire, La dérive, et Motifs. Ces titres reprennent les notions qui soutiennent son projet. Mais je ne sais pas qui est l’auteur ou l’autrice, car les textes sont à la 3ème personne. Au verso et à l’envers, le texte traduit en anglais.

Dans cette même pochette, des photocopies sur papier glacé , d’un livre “Voyage en Islande et au Groenland” publié par ordre du Roi. Mais aussi comme faisant parti du livre, une photo en noir et blanc des bois flottés, des bouteilles avant leur mise en mer, et du rivage islandais.

Une question revient sans cesse : qui a écrit? qui a fait quoi? qui a pris quelles décisions? Pourquoi véritablement, et à quel moment? Je trouve intéressant que chaque objet soit différent, autant dans leur contenu, que dans leur forme, leur papier. Qu’ils soient comme des archives, un résumé d’un projet, quelques pistes pour comprendre.

Ma propriétaire n’a pas trouvé de bouteille, elle a acheté cet exemplaire lors d’une exposition à Dunkerque, et ne m’en dira pas plus. J’ai contacté Philippe Richard et il ne m’a jamais répondu. Moi j’ai l’impression de faire partie un peu du projet maintenant.

Par Pauline Sarrazy Travail réalisé dans le cadre du cours d’actualité de l’édition et du multiple à l’Académie royale des Beaux-Arts de Bruxelles, 2020, license CC-BY-SA.