Livres à porter
Voici trois artistes, venant de domaines autres que celui du livre. Elles ont des pratiques artistiques pluridisciplinaires dans lesquelles le corps est sollicité et proposent des livres à porter. À la fois objets à lire, à regarder ou à manipuler, et habits de feuilles, de textes, d’images ou autres impressions et formes.
Dans les années 80, Joëlle Dautricourt mène des recherches et une expérimentation artistique aux sources de l’écriture et émerge dans la scène artistique. Elle participe à de nombreuses expositions et réalise des performances. Voici celle du 1er Manifeste du Livre d'Artiste/Livre-Objet au Centre Georges Pompidou en 1981. Elle s’introduit dans une salle, avec Mirella Bentivoglio, Nicole Rousset-Altounian, François Di Dioet et Marisa Vescovoest, vêtus de combinaisons ressemblant à celles jetables, utilisées par les peintres ou chimistes comme vêtement de protection. Celles qu’ils portent sont toutefois entièrement imprimées de textes et paraissent être composées d’un matériau similaire au papier.
Ce manifeste est pensé comme un livre-spectacle pendant lequel Joëlle Dautricourt fait chanter au public Désir d'écrire le livre du désir d'écrire le livre. Elle performe accompagnée, ils parlent et se dévêtissent de leur protection imprimée. Une autre combinaison entre alors en scène, couverte d’empreintes de mains négatives blanches sur un fond noir, recouvrant leur corps jusqu’au pieds.
Par une approche poétique et sensible, Sylvie Facon crée depuis plus de 30 ans des robes à thèmes, peintes ou brodées, assemblées comme des toiles, dans lesquelles les matériaux qu’elle utilise deviennent sa palette chromatique. Elle confectionne ses robes comme des tableaux, à partir d’une esthétique semblable à celles des comptes de fées, avec un style qui lui est propre. Elle est d’ailleurs connue comme étant la créatrice des mille et une robes.
Diplômée des Beaux-Arts en peinture, elle apprend à coudre d’abord par elle-même, puis grâce à une dame qu’elle rencontre par hasard et qui avait été petite main chez un grand couturier. Son savoir faire et sa notoriété se développent petit à petit et elle commence à se faire connaître dans les années 2000 avec des costumes sur-mesure pour des troupes de théâtre, des concerts ou des robes de mariées sur commande.
En photos, ses créations Hommage au violon et hommage aux livres, sont composées de corsets moulés et de jupons en dentelles, textiles et feuilles imprimées, volantes ou pliées. On retrouve dans ces œuvres des broderies unissant des textes, des partitions, des dos d’ouvrages anciens et autres objets précieux qu’elle peint ou coud à même ses robes.
Passionnée, Sylvie Facon pousse toujours les limites du possible en continuant de créer des robes tableaux et son travail est aujourd’hui mondialement connu.
Avec une sensibilité similaire à celle de Sylvie Facon, en questionnant cependant d’autres notions, la designer de mode Ying Gao allie l’univers de la mode au design industriel et aux médias interactifs. Elle s’inspire du milieu urbain et social pour expérimenter et créer des vêtements en interaction avec leur environnement et autrui. Issus d’univers en mutation et porteurs d’une dimension critique sur la technologie actuelle, les créations les plus connues de Ying Gao sont essentiellement robotiques, comme Flowing water, standing time ; Walking City ou Possible Tomorrows.
Cependant, elle réalise un projet dans lequel elle s’inspire de la forme et de l’esthétique du livre pop-up. Facebook as a pop-up Book où elle confectionne une robe chemise entièrement blanche qu’il faut explorer et manipuler pour découvrir ses contenus. Une jupe dont les pages de textiles se tournent et illustrent le réseau social de cinq de ses amis Facebook. À travers cette mise en volume, une arborescence en pop-up tisse alors un lien entre deux univers à priori opposés, les réseaux sociaux et les livres pop-up. Les interactions sociales sont ainsi mises en évidence par celles d’une lecture. La manipulation et le déploiement de cette jupe permettent la propagation d’un réseau, dont l’étendu et la profondeur des motifs dépendent de la nature des interactions sociale et du nombre d’amis Facebook des cinq amis qu’elle a sélectionnés.
Dans ce projet à la fois critique et poétique, Ying Gao ouvre des questionnements sur la forme du livre et son caractère hybride, comme le font mais avec d’autres formes d’expressions plastiques Joëlle Dautricourt et Sylvie Facon.
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Par Claire Gaillard
Travail réalisé dans le cadre du cours d’actualité de l’édition et du multiple à l’Académie royale des Beaux-Arts de Bruxelles, 2020, license CC-BY-SA.