La fille aux loups
La fille aux loups, Eric Pessan, vu par Frédéric Khodja, 2014, Les Editions du Chemin de fer
Je pense que le moment ou le contexte dans lequel on découvre une édition, quelle qu’elle soit, ajoute une dimension importante et intéressante. Quelque chose d’un peu spécial. Et c’est en 2015, lors d’un workshop, au sein de l’Abbaye de Lagrasse , que je découvrais dans la toute petite librairie du Banquet et café littéraire (associé à la librairie Ombres Blanches de Toulouse), cette édition. Une nouvelle, accompagnée d’images, ni livre illustré, ni livre d’artiste : La fille aux loups, écrit par Eric Pessa, vu par Frédéric Khodja, publié en 2014 aux éditions du Chemin de Fer, tirée à mille deux cents exemplaires, l'édition originale est constituée de 126 examplaires numérotées.
J’ai été attiré par la couverture très sombre, cette femme sans tête sur la 1ère, le contraste avec les couvertures intérieures et l’encart d’un vert éclatant. Le titre évidemment. Qui faisait écho à ma semaine dans ce petit village, et qui sonnait comme un conte, les histoires qu’on se racontait tous et toutes quand la nuit tombait. L’histoire raconte une sœur et deux frères, se retrouvant après le décès de leurs parents, afin de vider la maison familiale.
Il y a trois voix dans cette édition : la nouvelle, le récit initial, sans chapitre; le texte en italique, le souvenir du jeu du loup, pervers, qui résonne dans les marges, entre les paragraphes, le blanc du papier, comme dans la maison vide, raconte les non-dits et ajoute une tension tout au long de l’édition; enfin, les images de Frédéric Khodja. Les images sont autant d’indices semblant venir de la maison de l’histoire. Ils existent comme archives inventées. Diversité d’images et de médiums: photos, collage, dessin, matériaux iconographiques. J’ai eu la chance d’avoir un entretien avec F.K, il a pu me confirmer la façon dont il avait travaillé.
Pour le tirage de tête, l’artiste a choisi de sérigraphier le portrait d’un personnage principal, Anna, qu’il crée avec un logiciel de portrait robot. Frédéric me dit que si les graphistes n’avaient pas changé sa proposition de couverture initiale qui était le premier portrait (p6), il n’y aurait pas eu ce portrait robot.
Ce projet est né d’une rencontre lors d’une exposition, puis Eric Pessan a choisi Frédéric Khoja, c’était lui et personne d’autre. Il lui a envoyé le tapuscrit, et la maison d’édition a laissé carte blanche. Frédéric me fait part aussi de son point de vue sur les différents protocoles au point de départ d’un projet littéraire et artistique. Il y a autant de protocoles différents qu’il n’y a de livres. Il y a eu cette édition, puis un écrivain inconnu l’a contacté pour travailler d’après une série collages. Cela a donné lieu à autre chose. Enfin, il travaille avec une autrice, qu’il connaît bien. Marie-Laure Hurault n’imagine pas faire une édition sans lui. L’un ne va pas sans l’autre. Les éditions du Chemin de fer, ont été créées en 2005 par Renaud Buéner et Francois Grosso. Leur catalogue est hétéroclite et novateur, contenant essentiellement des formes narratives courtes, allié au renouveau du dessin contemporain.
“La diversité des choix artistiques ou littéraires, la variété des liens qui vont unir l’un à l’autre, sont le moteur des éditions du Chemin de fer, qui se veulent un reflet multiple des différents questionnements portés par la création artistique contemporaine. Notre but est de défendre des textes que l’on juge nécessaires, des textes qui interrogent le monde, questionnent la langue, triturent le réel pour mieux le restituer, de faire découvrir des œuvres dont la pertinence nous est évidente, et d’instaurer dans la dialectique qui se crée entre l’un et l’autre un objet éditorial unique réinventant à chaque nouveau projet les rapports infiniment riches et complexes que l’image, bien au-delà de l’illustration ou de l’édification du lecteur, entretient avec le texte.”
Pour finir, en 2018, une exposition a été réalisée autour de La fille aux loups. Frédéric Khodja a donc fait une nouvelle proposition, en partant des images qui l'avaient réalisé pour l’édition. Cette exposition a permis à ce récit, à ces œuvres, de sortir de l’objet livre et d’exister autrement.
Par Pauline Sarrazy
Travail réalisé dans le cadre du cours d’actualité de l’édition et du multiple à l’Académie royale des Beaux-Arts de Bruxelles, 2020, license CC-BY-SA.