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La Horde du Contrevent

En 2004, Alain Damasio créé la maison d'édition indépendante La Volte et édite alors avec un CD son livre :« La horde du Contrevent », offrant au lecteur un moyen de le prolonger, en y ajoutant des éléments hors de lui.

Mais cette texture sonore hors de lui, hors de ce monde de papier rectangulaire semble pourtant être pleinement dedans. Sans être matérialisée dans le livre cette extension musicale prolonge chacune des lettres et des mots noircies que le papier blanc renferme.

Le récit se retrouve trempé d'un élément externe qu'il assimile puis recrache dans les recoins de ses phrases. Une épaisseur et une vibration nouvelle se déposent sur les mots. Les espaces matériels du livre et sonore de l'album s’entremêlent et se complètent nous donnant la sensation que le livre n'a jamais semblait aussi complet qu'en ce moment. Le récit est porté hors du livre, il vibre en nous et autour. L'album musical n'est pas un album à proprement parlé, il n'est pas qu'un accompagnement musical du texte, il est parole, il est cri, il est mot, il est silence, il est question, il est ce monde et un autre. Il est livre. Mais au delà de l'œuvre sonore qui étend le livre et ses pages, la Horde du contrevent de par son fond et sa forme écrite atypique, est déjà en soi une édition à part en entière.

Le roman de Damasio est de par son écriture une manière d'éditer la langue, une langue nouvelle. Tout d'abord, le vent. Celui-ci dans le livre est lu par le personnage d'Oroshi et écrit par Sov : son langage correspond à un système de symboles et de ponctuations largement exploité par Damasio dès la première page et s'est avec ceux-ci que les protagonistes sont introduits, lorsqu'ils s'expriment, ils n'ont pas de noms mais des symboles tout comme le vent. Le marque-page fournit dans l'édition du livre fait alors la correspondance entre les symboles et les personnages. De plus, la numérotation des pages est inversée, si bien que la fin du livre vient s'échouer sur la page 0.

L'histoire se déroule comme un long rebours et le 0 n'a jamais autant symbolisé son cercle et son néant, que dans ce livre. L'édition fait partie de la narration au même titre que le récit, elle se fond à celui-ci. Elle apparaît comme partie intégrante du roman et rien ne l'a diffère de la prose interne, car tous deux appartiennent à ce même registre : "l'écriture". Ce livre édité autrement ne serait plus le même, il n'est pas de ceux qui même imprimé sur une succession de feuilles A4 raconterai la même chose.

Il est de ces livres que l'édition commence et fini, négligée là, et le livre ne sera plus livre. Comme si sans elle, le sens, l'ambiance, la philosophie et une poignée de chapitres, soudainement, avaient disparu. Il y a de ces toiles en peinture, ou le châssis n'est qu'un support à l'histoire, n'importe quelle autre ferait l'affaire puisse t-il simplement tenir la toile. Et il y en a où le châssis, pensé, construit et agencé fait partie de l'histoire autant que la peinture. La peinture est le châssis, le châssis est la peinture, les deux ne font qu'un et ensemble délivre une œuvre. La Horde du Contrevent.

Par Nicolas Nivesse
Travail réalisé dans le cadre du cours d’actualité de l’édition et du multiple à l’Académie royale des Beaux-Arts de Bruxelles, 2020, license CC-BY-SA.