L'Évasion (Dispositif Relais - Les Invalidés)
Je fais partie d'une jeune maison d'édition nommée Du noir sous les ongles. Elle a un an et pour l'instant, un seul livre à son actif, celui présenté aujourd'hui : L'Évasion. Une édition assez classique dans son format, un roman graphique où se mêlent deux histoires complémentaires, le récit d'un voyage en Italie et la trame scénaristique d'une pièce de théâtre.
Je vais commencer par vous parler rapidement de l'ASBL Le Dispositif Relais, la source de ce projet éditorial.
En 2010, la juge Anne Gruwez et Tahar El Hamdaoui souhaitent proposer un accompagnement social aux jeunes détenu·e·s et ex-détenu·e·s. Il créent donc le DR. Leur action vise avant tout à assurer une écoute « pendant et après » le passage en établissement pénitentiaire, en offrant un lieu de parole où les jeunes détenu·e·s ou libéré·e·s sous conditions peuvent exprimer leurs difficultés dans un climat de confiance.
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Notamment, ils accordent une place centrale aux activités éducatives comme le théâtre, c'est là que nous intervenons. Ainsi nous avons rencontré Wilhem de Baerdemaeker et Fernando Zamora, tous deux animateurs pour l'association. C'est eux qui s'occupent de la troupe des Invalidés, ensemble ils font du théâtre-action.
Petit point sur le théâtre-action. Son objectif est de toucher celleux que la culture ignore la plupart du temps. Il permettrait de laisser émerger la culture de minorités oubliées ou marginalisées. L'enjeu n'est donc pas forcément de diffuser une culture commune déjà dominante mais plutôt de « faire avec » toutes les cultures, les subjectivités participantes.
Les vécus s'expriment au travers de l'action, de l'improvisation. Puis ils sont retravaillés, mis en scène, la pièce est ensuite répétée puis produite sur scène. Pendant ces quatre années d’ateliers au Brass, à partir d'images, de mises en situation puis d'impro que le groupe propose, une histoire se dégage. Ainsi est née la pièce Des Tensions, présentée d'abord au Brass en 2019 puis au centre culturel Jacques Franck. En voici une courte description : Ils sont détenus, gardiens, juges, avocats, visiteurs et sont tous enfermés. Ensemble en prison, la pression monte. Les tensions sont partout, tout le temps. Chacun doit trouver sa façon de les supporter, d'y survivre. Ce quotidien infernal, où tout le monde perd sa dignité, est celui de la détention. Billy, jeune homme fier, va découvrir à ses dépens - et aux dépens de nous tous - la vie grillagée que l'on réserve aux gens comme lui. (présentation du centre culturel Jacques Frank)
Le collectif Libertalia a même invité le collectif à jouer sur la scène du festival de théâtre-action de San Cacciano près de Florence. De nouvelles personnes se greffent au projet dont Étienne Martinet, qui se propose de suivre la troupe par le dessin au gré des diverses répétions et représentations. C'est lui qui accompagnera et dessinera la troupe tout au long du voyage.
Et ce livre, « L'Évasion », c'est le récit de ce voyage en Italie. C'est un ensemble de scènes, de souvenirs de ces moments de libertés.
Lorsque tou·te·s reviennent à Bruxelles, la tête pleine de souvenirs, les carnets gorgés de croquis, une nouvelle aventure commence. Il faut alors récolter les textes, organiser les fragments, écouter et répondre aux demandes de chacun·e·s. Après de nombreuses et tardives séances hebdomadaires, nous pouvons lancer l'impression.
Le livre reprend donc les dessins d'Étienne pour construire le récit. En bas de pages, on retrouve en parallèle l'histoire de la pièce Des Tensions comme toile de fond du projet éditorial , comme la raison du voyage mais surtout comme le véritable prologue à cet épisode de liberté. Aujourd'hui le projet de réinsertion continue, doux euphémisme puisque une grande part de la population se voit exclue de toutes possibilités d'ascension sociale, il s'agit donc plutôt d'une tentative d'insertion.
Le livre a aussi permis, permet toujours, de porter une proposition législative qui a été débattue au parlement le 26 novembre 2019. L'idée est d'agir selon deux axes. Il s'agirait d'abord de geler l'impact financier de la condamnation pendant cinq ans afin d'assurer la stabilité de l'ex-détenu avant de faire face à ces dettes par un plan adéquat et mis en place pendant ces cinq ans. Ensuite, il s'agirait de voiler pendant un certain temps le casier judiciaire (six mois renouvelables trois fois) vis à vis surtout des employeurs pour éviter ce que l'on nomme la « double-peine ». En parallèle, il est proposé la création d'un service particulier au Tribunal d'Application des Peines pour assurer le suivi des personnes justiciables dans un rôle dynamique où l'État, celleux qui le représentent, peuvent devenir de véritables interlocuteurs, des partenaires
Par Maxime Delalande Travail réalisé dans le cadre du cours d’actualité de l’édition et du multiple à l’Académie royale des Beaux-Arts de Bruxelles, 2020, license CC-BY-SA.