Aurélie William Levaux
Aurélie William Levaux :
Les Yeux du seigneur (La 5ème Couche, 2010)
Sisyphe, les joies du couple (Atrabile, 2016)
La Poutre de mon œil (Le Monte-en-l’air, 2016)
Le Jour de travail (Le Monte-en-l’air, 2019)
Si je choisis de présenter ces quelques œuvres de l’artiste – autrice, illustratrice, plasticienne – Aurélie William Levaux (raccourci ici en AWL pour aller plus vite), c’est parce que je me sens super proche de son travail et de la personne que je m’imagine qu’elle est. Au niveau du dessin, des formats et des techniques utilisés, elle se rapproche et elle inspire ce que j’aspire à faire (en partie). Au niveau de l’humour, du ton et du style d’écriture, j’ai parfois l’impression de lire une version (plus élaborée ?) de ce que j’écris et pense moi-même. Lorsque je lis des interviews d’elle, ses réponses résonnent en moi comme mille choses que j’aimerais savoir dire. C’est donc assez naturellement que je me tourne vers les quatre bouquins d’AWL que je possède dans ma bibliothèque – raison de plus, je préfère parler d’objets que je peux toucher et avoir entre les mains.
AWL a 39 ans cette année et vient de la province de Liège. Elle est née dans une famille très catholique, je le mentionne parce qu’on remarque dans beaucoup de dessins une influence forte de l’iconographie catholique.
L’une des caractéristiques récurrentes de son travail (mais pas systématique), c’est le tissu. Les Yeux du seigneur est une “BD” (un roman graphique ? Un livre d’images?) entièrement réalisée sur tissu, brodée et dessinée. Le papier du livre que tu tiens entre les mains garde la texture scannée du tissu, des fils se faufilent entre les traits, débordent le cadre, ça fait illusion parfois, jusqu’à ce que tu touches à nouveau la surface du papier pour t’assurer de sa réalité. L’encre bave un peu et des tissages apparaissent. Les formes et les figures sont surtout faites de lignes et de traits. Dans Sisyphe, on retrouve les mêmes effets de matière et de texture, sauf qu’AWL ajoute à ses dessins des couleurs vives et des aplats.
Sisyphe se distingue en partie par son format. La partie dessinée du roman (j’ai failli écrire illustrations, mais ça ne me paraissait pas juste) est une suite de grandes pièces sur tissu en pleine page, mis en parallèle avec des textes en prose et écrits à l’ordinateur. Ce livre a été composé en même temps que l’autrice exposait les dessins qui s’y trouvent. Ce sont donc des dessins qui ont été conçus à la fois pour être exposés seuls, sur des murs, et pour être assemblés et associés à du texte, dans un objet relié. AWL a alors dû trouver une manière de concilier les contraintes de l’exposition et de l’édition en même temps.
Elle dit : « Si j’ai une obsession pour le livre et les impressions, c’est qu’alors, j’ai la sensation de ne pas laisser s’échapper les choses, de les graver dans le temps, de leur donner l’éternité. (...) Je veux matérialiser mon travail, qui est intimement lié à ma vie comme on le fait avec des albums photos, pour les faire exister, pouvoir les ré-ouvrir, c’est un peu comme une manie de vouloir classer mes périodes dans des carnets. Et puis, j’ai toujours aimé l’objet livre, pouvoir plonger dans une œuvre sans zapper, y revenir quand j’en ai envie, ce qui est impossible avec une exposition. J’aime aussi le côté accessible du livre, financièrement abordable : si on ne peut pas acheter mes dessins, il y a la reproduction. » (interview de AWL, https://le-carnet-et-les-instants.net/archives/rencontre-avec-aurelie-william-levaux/?cn-reloaded=1)
Dans La Poutre de mon œil, publié la même année que Sisyphe, plus de tissu ou de compositions complexes, nous voilà heurtés par la blancheur uniforme du papier et par un dessin au feutre d’apparence simple, avec une sélection de couleurs assez réduite. L’écriture prend une valeur graphique, tout est écrit à la main, certaines pages ne contiennent que du texte. Le phylactère prend une place importante dans les dessins. Le livre traverse les mêmes sujets que les deux livres précédents (le couple, la sexualité, la maternité) et en amène d’autres (le travail, le dessin). Les codes de la BD et du roman se mélangent parfois. Le Jour de travail, publié 3 ans plus tard dans la même maison d’édition, présente des similitudes avec La Poutre de mon œil, notamment au niveau du format. Mais il contient beaucoup plus de texte, tantôt présenté comme dans La Poutre – manuscrit, à la plume – tantôt comme une prose écrite à l’ordinateur. Les textes imprimés sont repris à la main, au crayon rouge ou au bic, barrés, effacés, corrigés. Le papier change de couleur ou de texture, on sent que les pages ont été d’abord écrites séparées, puis assemblées, puis réarrangées.
Ce que je trouve intéressant dans ce livre, c’est que les processus de l’écriture et de l’édition sont visibles : le livre en tant que produit fini présente les marques du travail qui lui ont permis d’aboutir. C’est d’autant plus malin que les sujets principaux du livre sont le travail, le métier, l’édition. Le lien entre ce qu’on appelle souvent fond et forme en tant que structures qui s’entremêlent et s’entre-influencent est ici très lisible, visible et cohérent.
AWL amène donc, au fil de ses publications, un questionnement sur ce que sont un livre, une bande dessinée, un texte, un dessin. Elle ne s’embarrasse pas des frontières entre les genres littéraires. Pour moi, ça a été et c’est encore fascinant de suivre ces chemins incertains et incongrus qu’elle me présente, et ça me donne envie d’en faire autant. Je n’ai pas beaucoup parlé ici des sujets qu’elle aborde dans ses livres parce que nous sommes dans un cours d’actualité de l’édition, mais je vous souhaite de rire et pleurer beaucoup en les lisant.
À voir : https://www.youtube.com/watch?v=obe7ZQdvjhU (Sans papier, la nouvelle bande dessinée, Tracks, Arte, de 00:00 à 4:47)
Par Alice Nalpas
Travail réalisé dans le cadre du cours d’actualité de l’édition et du multiple à l’Académie royale des Beaux-Arts de Bruxelles, 2020, license CC-BY-SA.