08.01.2023
Autoportraits (au travail)
Au 12e siècle, Frère Rufillus officiait comme miniaturiste à l’abbaye de Weissenau. Son travail quotidien consistait à peindre des lettrines historiées, soit des ornements narratifs de lettres dans les manuscrits religieux.
Alors qu’il travaillait à l’enluminure d’un texte concernant les six premiers jours de la Genèse, il préfère aux plantes et autres créations divines traditionnellement de circonstance un tout autre sujet : lui-même.
Ainsi, bien installé dans le ventre d’une lettre D, Rufillus est représenté en plein travail, assis sur son banc, parchemin sur les genoux et outils d’écriture en main.
Dans les années 1950, quand elle ne travaillait pas comme nounou, Vivian Maier arpentait les rues de New York et de Chicago avec son appareil photo. Ses quelques cent vingt mille clichés, principalement des portraits d’anonymes pris sur le vif, ne seront découverts qu’après sa mort.
Sur une photographie datée de 1954, elle s’intègre comme elle l’a souvent fait à l’une de ses oeuvres.
Assise dans le hall d’un immeuble vitré à côté d’une femme plus âgée qui pourrait être sa mère, une jeune fille en tenue du dimanche regarde droit dans l’objectif qui semble l’avoir saisie par surprise. Sur la vitre qui les sépare s’est imprimée la silhouette de la photographe. On ne voit pas son visage, ses yeux sont baissés vers le viseur de son Rolleiflex : elle est en plein travail.
Ces deux images séparées de sept siècles ont en commun une certaine mise en abyme : l’auteur s’intègre à son travail, se représentant en pleine besogne et ses outils à la main, dans une réalisation qui est à la fois un autoportrait, un instantané de son quotidien, et un produit de son travail comme un autre (enluminure ou photographie).
En guise de conclusion, je peux humblement expérimenter de suivre cette démarche d’autoportrait au travail. Ici, l’étudiante s’intègre donc à sa manière à la rédaction de son devoir :
Alors que je tape ces derniers mots sur le clavier de mon ordinateur portable noir, je (femme de vingt-quatre ans, blanche, taille1m80, cheveux teints en roux) relève les yeux vers un client qui vient d’entrer dans la Taverne Magnolia, ouverte 24H/24 et 7J/7, où j’ai atterri (presque) par hasard ce matin pour rédiger ce texte.
Sources :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Lettrine_histori%C3%A9e
https://medievalbooks.nl/2018/09/20/me-myself-and-i/
https://www.artefields.net/vivian-maier-street-photography/
http://www.vivianmaier.com/gallery/self-portraits/#slide-7
https://www.pop.culture.gouv.fr/notice/enluminures/D-042480
Harmony Vercleyen
Travail réalisé dans le cadre du cours d’histoire du livre, illustration et graphisme à l’Académie royale des Beaux-Arts de Bruxelles, 2023.
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