28.05.2021
Le concept d’œuvre d’art induit souvent l’idée d’œuvre unique, qui serait par conséquent difficile d’accès, et se dirigeant vers une élite intellectuelle pour la comprendre. À contrario le livre faisant parti d’une série, et induisant le concept de reproduction aurait moins de valeur. Cependant à partir des années 70, et la naissance des livres d’artiste, on voit une redéfinition des codes et l’objet-livre dans le milieu artistique devient de plus en plus à la mode, notamment grâce à une artiste française dans les années 80, qu’on caractérise souvent d’artiste narrative, qui va proposer de nombreux projets mêlant photographie, narration, performances et jouant avec le livre et le texte.
Cette artiste, c’est Sophie Calle, une photographe, plasticienne, femme de lettres qui naît à Paris en 1953. Amie notamment de Christian Boltanski et Annette Messager, elle innove complètement le milieu artistique, avec des projets tels que Les Dormeurs, où durant une semaine d’avril 1979, elle invite 28 personnes à dormir chez elle afin de les enregistrer et les photographier « seule nécessité, l’occupation du lit. Vide il m’inquiète ». Ce projet sera présenté dans un livre publié chez Actes Sud, mélangeant textes et photographies mais il sera aussi exposé dans des galeries et musées.
Parmi ses autres travaux, elle réalise La Filature en 1981, où elle demande à sa mère d’embaucher un détective privé pour la suivre. Elle récupère les photos et les descriptions écrites, qu’elle compare ensuite aux récits de ses journées.
L’hôtel, chambre 25, Sophie Calle, 1979
Un de ses projets qui particulièrement intéressant est L’Hôtel en 1981. Son concept ? Se faire embaucher dans un Hôtel vénitien en tant que femme de ménage de remplacement pendant 3 semaines. Elle cachera ses appareils photo dans ses seaux et son matériel de nettoyage. Elle prendra alors minutieusement des photos des objets qu’elle peut trouver dans les chambres d’hôtel. Dans un second temps, et sans connaitre la moindre information de ses habitants furtifs, Sophie Calle jouera le rôle de romancière dans de courts textes où elle leur inventera une vie. « J’observais par le détail des vies qui me restaient étrangères »
Ce travail mélange plusieurs idées très intéressantes, d’une part autour de l’inventaire et de la liste. À partir de certains détails tels que des serviettes qui trainent, des poubelles non vidées, des chaussures bien rangées... elle interprète et invente des histoires autour de ces traces. Elle romance et met en avant une profession assez décriée et souvent invisibilisée. On ne doit pas voir le personnel de nettoyage, qui doit agir lorsque les clients s’absentent.
Mais ce projet joue aussi encore une fois avec le texte et l’image, ses photographies sont intrinsèquement liées au texte additionné. Sans les textes on observe des traces de vie, d’objets laissés à l’abandon sans présence humaine, le texte amène une dimension totalement nouvelle.
Ses photographies seront exposées dans des musées mais sont aussi éditées chez Actes Sud. Son travail questionne sur le regard que l’on porte à l’art et sur les conditions actuelles de visibilité des œuvres.
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Les Dormeurs, Sophie Calle, 1979, Paris
Sources des images :
Sources du texte :
Along Ciarallo
Travail réalisé dans le cadre du cours d’histoire du livre, illustration et graphisme à l’Académie royale des Beaux-Arts de Bruxelles, 2021.