28.05.2021
L’humour est un phénomène universel, et nos ancêtres de l’Egypte ancienne ne dérogent pas à la règle. Au cours de la période Ramesside, qui s’étend approximativement de 1295 à 1095 avant JC, on retrouve, sur plusieurs papyrus et ostraca, des représentations animales amusantes. Les trois fragments les mieux préservés se trouvent à Turin, à Londres et au Caire. On y voit des animaux, sauvages et domestiques, adoptant un comportement humain, dans un monde sens dessus-dessous où les prédateurs sont le plus souvent subordonnés à leur proie principale.
Le papyrus de Turin est riche de représentations humaines et animales mêlant érotisme, humour et satire. C’est, à la connaissance des historiens de l’art, la seule œuvre d’art égyptien qui connecte érotisme et humour. Ce rouleau, le plus large des trois, mesure 22cm sur 260cm. La plus grande partie, à gauche, est une scène érotique constituée d’êtres humains dans des positions exagérées, acrobatiques. La seconde partie, à droite, comporte plusieurs scènes animales, avec notamment une armée de souris assiégeant une forteresse défendue par des chats et des animaux faisant de la musique (singe, crocodile, lion et âne).
Papyrus de Turin, partie érotique. Source
Papyrus de Turin, partie érotique (reconstitution). Source
Papyrus de Turin, partie animale (reconstitution). Source
Le papyrus de Londres et le papyrus du Caire, plus petits, comportent chacun plusieurs scènes animales, parmi lesquelles une antilope et un lion jouant au senet (jeu de plateau).
L’origine exacte et la date de confection de ces papyrus demeure inconnue. Cependant, on sait qu’ils proviennent du village de travailleurs de Deir-El-Medina, essentiellement peuplé de constructeurs de tombes.
Dans ces parchemins, considérés comme précurseurs de la bande dessinée moderne, les vignettes se succèdent sans case, ni lien narratif entre elles. Les images étaient probablement suffisantes pour que les lecteurs sachent à quelles histoires celles-ci faisaient allusion. Selon David O’Conner, le papyrus de Turin serait une parodie dérivée de sujets présents sur les murs des temples. Quant à la partie humaine, elle serait inspirée de “chansons d’amour” de l’époque...
Quel sens profond peut-on trouver à ces rouleaux ? En l’absence de textes écrits, on ne peut pas avoir de certitudes. La partie érotique évoque des scènes d’orgie et de beuverie lors de festivités. Si le registre moqueur est évident, il est difficile d’en déterminer la visée, qu’elle soit pornographique, ou au contraire morale. Les scènes animales pourraient provenir de contes populaires, à transmission orale, et donc facilement reconnaissables. Peut-on y voir de la moquerie envers les classes aristocratiques, un regard sceptique et cynique sur la société ? Toujours est-il que la XIXème dynastie d’Egypte, qui coïncide avec les dates des parchemins, est marquée par la crise économique, la désintégration sociale, dans un contexte de prise de pouvoir par les prêtres militaires de Thèbes. Bien que les connotations humoristiques d’il y a plusieurs millénaires fussent fort différentes des nôtres, il est touchant de voir comment l’esprit et l’ironie, à travers les époques, s’emparent des histoires et des représentations sociales.
Source pour le texte:
Vibeke Berens, The Ramesside Satirical Papyri. Revealing the Nature of Ancient Egyptian Satire. 2014. https://www.academia.edu/30800265/The_Ramesside_satirical_papyri_Revealing_the_nature_of_ancient_Egyptian_satire
Lynn Wehrung
Travail réalisé dans le cadre du cours d’actualité d’histoire du livre, illustration et graphisme à l’Académie royale des Beaux-Arts de Bruxelles, 2021.