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histoire·s

1970
On Kawara

On Kawara, I am still alive, 1970

28.05.2021

On Kawara et la documentation du passage du temps

On Kawara est un artiste japonais venu s’installer à New York dans la deuxième moitié des années 60.

Son travail relève d’une obsession pour le passage du temps et, avec celui-ci, le passage de son existence. La création de certaines de ses œuvres s’étale sur des années, voire des décennies ; il explore ainsi, à différentes échelles, la manière dont nous percevons et faisons l’expérience du temps.

La manière dont l’artiste documente sa vie en devient ainsi systématique. C’est un acte machinal, mécanisé. Les télégrammes qu’il envoie son comme les pages d’un calendrier. Et pourtant, chaque image décrit un jour de la vie d’une personne, et représente l’expérience de cette journée.

On Kawara consacre son temps à le marquer. Lorsqu’il n’envoie pas de télégrammes à ses amis, il fait la liste des personnes qu’il rencontre chaque jour (« I met… » 1968-1979) ; inscrit sur des cartes les trajets qu’il fait quotidiennement ; écrit des cartes postales avec pour seul contenu « I got up at… » (1968-1979) suivi de l’heure à laquelle il s’est levé ce matin-là.

Un après-midi où il se rendait à un rendez-vous, On Kawara s’est fait voler la mallette de travail dans laquelle se trouvaient les tampons « I got up at… », « I met… », et ce jour-là ces séries touchèrent à leur fin.

Mais il continua à peindre. Du 4 janvier 1966 au 10 juillet 2014, Kawara peigna la date du jour. S’il n’arrivait pas à finir un tableau dans la journée, alors celui-ci était détruit, et il reprenait le lendemain avec une nouvelle date.

On Kawara, Today, On Kawara—Silence at the Solomon R. Guggenheim Museum, 6 février–3 mai 2015

Devant chaque image, on peut se demander de quoi était remplie sa vie à ce moment-là ; s’il a commencé à peindre dès le matin et avait déjà fini à midi ; ou bien s’il est allé se coucher avant d’avoir finalisé son travail, et s’est fait violence pour sortir de son lit pour peindre avant que minuit ne sonne…

Ses tableaux nous ramènent inévitablement à l’écoulement de notre propre vie. Souvent exposés en cercle -dans lequel on déambule, comme déambulant dans ce cycle du temps-, ils sont les jours qui passent, inscrits devant nous.

Cette série d’œuvres est d’autant plus touchante qu’elle ne prit fin que le jour de la mort. Ce jour-là, On Kawara avait peint presque 3000 tableaux.

Paola Becquer

Travail réalisé dans le cadre du cours d’actualité d’histoire du livre, illustration et graphisme à l’Académie royale des Beaux-Arts de Bruxelles, 2021.