08.01.2023
Parallèlement est un recueil datant de 1900, mêlant 51 poèmes de Paul Verlaine (1844-1896) et 109 lithographies tirées en rose sanguine de Pierre Bonnard (1867-1947).
Face à cet assemblage entre les poèmes de Verlaine et les illustrations de Bonnard, je suis comme envoûtée par cette profonde harmonie qui se dégage. Les lithographies semblent s’être posées délicatement sur le texte imprimé dans une fonte raffinée, elles l’épousent, comme une feuille d’automne qui tombe au sol et le caresse. Avant même de lire le contenu des poèmes, nous comprenons grâce à cette combinaison visuelle qu’il s’agit de sensualité, et d’osmose érotique. Texte et illustrations ne semblent faire qu’un et, ensemble, créent une réelle atmosphère poétique. Tel deux corps qui ne font plus qu’un lorsqu’ils s’enlacent, poèmes et illustrations s’emmêlent, jouent, et s’allient. Une composition irrégulière et vivante s’en dégage de page en page, certainement liée au choix varié de poèmes dans le recueil, écrits à différentes époques, recombinés, puis réunis. Bonnard réussit à capter l’intimité sensuelle de la poésie de Verlaine, sa volupté et ses fragilités. Un parallèle étroit, intime et spontané se dégage alors de cette alchimie.
Intimité et informalité seraient les deux mots qui décriraient selon moi cette œuvre. La dimension inhabituelle des lithographies de Bonnard s’explique aussi par le choix du cadrage informel des nues photographiques de Marthe, épouse et modèle de l’artiste, que Bonnard capture avec son appareil portable Kodak, qui l’inspireront par la suite pour ses illustrations. Ce style de cliché instantané, cette liberté brouillonne, ajoutent légèreté et fraîcheur aux poèmes de Verlaine.
Cette idée de travailler avec des clichés photographiques pour, par la suite lors de la reproduction graphique, être le plus sincère possible, me fait penser à Alison Bechdel. En effet, pour la réalisation de son roman graphique Fun Home, l’autrice de bande dessinée met en scène des photos dans lesquelles elle se déguise en son père n’étant plus des siens. Elle porte ses vêtements, adopte ses attitudes, et, par le souvenir, réincarne son père un court instant afin de le représenter. Elle ajoute ensuite du texte à ses dessins pour composer à sa manière son récit.
Cette spontanéité et cette fusion entre texte et image me fait penser aussi à mes cahiers de poésie lorsque j’étais enfant. Je suis alors partie à la recherche de ces cahiers, et à ma plus grande surprise, je suis tombée sur un poème de Verlaine « La belle au bois dormait… » illustré de mes petites mains sur la page d’à côté. La composition texte-image bien plus classique ici que dans Parallèlement; avec un type de papier pour le texte, un autre le dessin, une coupure entre les deux pages, mais ce qui m’amuse avec ce parallèle c’est que le résultat est le même : le texte accompagne l’image, et inversement. Il n’y a finalement pas de frontière malgré la coupure de papier et le format cahier. Texte et image surpassent ces aspects pratiques, communiquent, dialoguent, et une unité d’une double page qui ne devient qu’une simple grande page se créée.
Pour conclure, j’aimerai finir sur cet extrait du poème Mon rêve familier, de Paul Verlaine, qui me parle pour décrire l’alchimie texte-image que nous trouvons dans beaucoup d’oeuvres :
« Car elle me comprend, et mon coeur, transparent
Pour elle seule, hélas ! cesse d'être un problème
Pour elle seule, et les moiteurs de mon front blême,
Elle seule les sait rafraîchir, en pleurant. »
Liens:
Adélaïde Demay
Travail réalisé dans le cadre du cours d’actualité d’histoire du livre, illustration et graphisme à l’Académie royale des Beaux-Arts de Bruxelles, 2023.
15.05.2020
Outre le fait que les deux livres soient tous deux des recueils de poésie, et bien qu'ils soient tous deux illustrés, il me semblait pertinent de les comparer entre-eux car ils sont les témoins, me semble-t-il, d'une évolution tant au niveau éditorial qu'à travers l'élaboration des œuvres.
Parallèlement, livre composés de poèmes plus ou moins érotiques en vers, publié initialement sans illustration en 1889 aux éditions Léon Vanier par Verlaine, a inspiré Pierre Bonnard puisqu'il décidera de l'illustrer en 1900. A titre posthume pour le poète donc, puisque qu'il décède quatre ans plus tôt.
Sans doute en hommage, le peintre réalise une série de lithographies directement sur les pages de textes imprimés. Illustrant pour la plupart des corps et visages féminins aux positions lascives, à demi ou entièrement dénudés. Nous notons par conséquent que l'élaboration des poèmes précède temporellement les illustrations qui ne sont d'ailleurs pas conçues en concertation avec l'écrivain. Ce point est important pour introduire Les mains libres, publié à l'origine en 1937. Ici, la démarche est différente : fruit d'un travail collaboratif, effectué en duo au cours des étés 1936 et 1937 1 le livre est en même temps conçu à la fois par l'illustrateur et le poète. La mise en page, bien qu'elle puisse sembler assez classique au premier regard, se révèle être déroutante puisque les illustrations sont pour la plupart placées préalablement et en vis à vis des poèmes. Inversant la hiérarchie habituelle où l'image suit le texte. Ce qui était plus ou moins hors-norme pour l'époque. Cet effet inhabituel est par ailleurs accentué par les informations données sur la première de couverture originelle où l'on pouvait lire : "Dessins de Man Ray illustrés par les poèmes de Paul Eluard." On y sent une forte embrassade de liberté tant aussi bien dans la conception du recueil et dans les illustrations que dans les vers d'Eluard. Tout ou presque est empreint de surréalisme et de sensualité, qui n'est pas sans rappeler les lithographies de Bonnard, bien que le style néo-impressionniste se soit consolidé ici pour donner un travail à la ligne plus net et moins confus.
Thomas Brandenbourger
Note:
1 - Vinas Agnès, Man Ray / Paul Eluard - Les Mains libres (1937) - Chronologie de 1935 à 1938, Lettres volées, Mis en ligne le 10.07.2013, dernière modification le 02.01.2019. En ligne : https://www.lettresvolees.fr/eluard/chronologie.html, consulté le 10 mai 2020
Travail réalisé dans le cadre du cours d’actualité d’histoire du livre, illustration et graphisme à l’Académie royale des Beaux-Arts de Bruxelles, 2020.
22.05.2020
Ces deux images se rejoignent pour moi dans leurs jeu entre le dessin et le texte. Dans ces deux images, on peut apercevoir que le texte laisse la place a l’image et vice-versa. Les deux images ont des sujets féminins dans leurs écrits et représenté dans leurs dessins, l’un représentant Alice, l’autre parle d’un personnage que Verlaine décrit a travers son poème.
Les styles de dessins sont assez similaires même si ceux d’Alice sont encadré. Ceux du poème de Verlaine sont plus libres dans leurs dispositions, amenant une atmosphère plus instinctive, ils rentrent en contact avec le texte comme un jeu de place sur la feuille.
Les illustrations d’Alice sont pour une encadrée prenant l’entièreté de la feuille, pour l’autre entrant dans le texte. On retrouve alors le même style de jeu que celui figurant sur l’illustration de Verlaine, les dessins s’entremêlent avec le texte et finisse juste au moment ou celui-ci commence, touchant presque les dernières lignes de textes. Comme pour créer une immersion dans l’univers iconographique de l’auteur.
Agathe Leemans
Travail réalisé dans le cadre du cours d’actualité d’histoire du livre, illustration et graphisme à l’Académie royale des Beaux-Arts de Bruxelles, 2020.
27.05.2022
La première image est une illustration de Pierre Bonnard dans un livre de poésie de Paul Verlaine s’intitulant « Parallèlement », 1900. Ces illustrations sont des lithographies tirées en rose sanguine. L’image inspire une grande légèreté par sa couleur et son trait à la fois spontané et précis, de plus, les vides du dessin le mélange à la page et sa poésie sans oublier la parallèle horizontal servant de lit au texte et laissant l’illustration envahir l’espace. Elle représente une femme sur un drapé et un décor d’allure naturel par ses traits organiques et en mouvement, la capture d’un instant est alors mise en avant.
Cette peinture d’Edgar Degas s’intitule « Le baissé du rideau », 1880. Il s’agit d’une œuvre impressionniste au pastel sur feuilles de papier jointes. Les traits sont aussi spontanés et précis, offrant une sensation de mouvement dans cette œuvre capturant l’instant. Elle montre entre deux grandes parallèles horizontales représentant le sujet, le baissé du rideau, se faisant envahir par le mouvement de la scène.
Tous deux possèdent cette énergie de spontanéité mélangé à une attention particulière pour certains détails, donnant un aspect poétique et organique de pair avec la capture de l’instant, leur pilier communs. Il y a également la manière qu’ont Bonnard et Degas de mettre leurs sujets en avant comme s’ils n’existaient que grâce aux cadres qui les accompagnent. Dans la première image, une parallèle horizontale vient supporter le texte et dans la seconde c’est le sujet qui vient dérouler l’instant entre deux parallèles horizontales. La plus grande corrélation de ces deux représentations réside dans l’envahissement de leurs espaces. Bonnard s’empare de la page comme Degas et son baissé du rideau.
Giuliano Lippolis
Travail réalisé dans le cadre du cours d’actualité d’histoire du livre, illustration et graphisme à l’Académie royale des Beaux-Arts de Bruxelles, 2022.